Ces dernières années, le peloton professionnel fait face à un nombre de chutes de plus en plus important. Vitesse excessive, routes de moins en moins praticables, les oreillettes, matériel ultra-performant ou caféine… Quelles peuvent être les raisons de ces chutes ?
Tous les yeux étaient braqués sur le Tour du Pays Basque qui avait lieu du 1ᵉʳ au 6 avril. Malheureusement, pas pour des exploits sportifs, mais pour la catastrophique chute qui a eu lieu lors de la 4ᵉ étape. Cette chute a mis en lumière un gros problème au sein du peloton professionnel, les chutes de plus en plus récurrentes et spectaculaires. Les images du carambolage sur le Tour du Pays Basque ont fait le tour du monde. Des coureurs comme Jonas Vingegaard, Remco Evenepoel ou Steff Cras gisaient au sol, se tordant de douleurs, démontrant la violence des chutes dans le cyclisme.
Les chiffres du nombre de chutes et de blessures font froid dans le dos. En moins de 10 ans, les chutes ont plus que doublé, passant de 118 en 2014 à 296 en 2023, soit une augmentation de 150% (voir graphique). Pour l’année 2024, 129 chutes ont déjà eu lieu dans les pelotons professionnels et nous sommes seulement début mai, ce qui laisse présager une année record en termes de chutes.
Dans le cyclisme, la moindre chute peut avoir de lourdes conséquences sur les cyclistes. Elles provoquent de nombreuses blessures plus ou moins graves, mais certaines sont très récurrentes et impactantes pour la carrière des cyclistes professionnels.
Pour se rendre compte de la dangerosité des chutes, ci-dessous, un graphique sur le nombre et le type de blessures chez les cyclistes professionnels depuis 2014.
Une vitesse excessive
Chaque année, le peloton bat continuellement des records de vitesse. Cela s’est produit récemment sur la mythique course de Paris-Roubaix avec la victoire de Mathieu Van Der Poel. Dans l’Enfer du Nord, un record a été battu, avec une moyenne de 47,8 km/h malgré les secteurs pavés. Ou encore lors du Tour des Flandres, où une moyenne impressionnante de 44,5 km/h a été maintenue.
À cette vitesse, le moindre écart peut avoir des conséquences plus que désastreuses, d’autant plus que le niveau moyen des coureurs est en constante évolution. Les leaders bénéficient du soutien d’équipiers qui impriment un rythme de plus en plus rapide pour mettre leurs rivaux sous pression. Lorsque le peloton est dense, le moindre frottement peut entraîner la chute. Après des années marquées par le dopage, les protagonistes du cyclisme expliquent cette hausse de la vitesse par un professionnalisme accru et par des vélos de plus en plus performants.
Un matériel de plus en plus léger et de moins en moins solide
La vitesse est un des facteurs de l’augmentation des chutes dans les pelotons de cyclisme professionnel. Les coureurs roulent de plus en plus vite et les moyennes de vitesses explosent des records chaque année. En cause, le matériel de plus en plus performant avec des vélos de plus en plus légers.
En comparaison, les vélos dans les années 1980 pesaient 9.5 kilos. Aujourd’hui, l’UCI (Union Cyclisme Internationale) a fixé un poids minimum des vélos de course sur route à 6.8 kg. Alléger les vélos, c’est bien, mais quid de la sécurité ? Cette constante recherche de diminution du poids des cadres, des roues et autres accessoires ne se fait-elle pas au détriment de la résistance ? En cas de chute, les vélos sont de moins en moins solides et avec la vitesse, celles-ci sont de plus en plus catastrophiques et même tragiques certaines fois.
Des parcours sur des routes de moins en moins praticables
Les cyclistes expriment de plus en plus leur mécontentement sur les tracés de moins en moins praticables. “Le problème, c’est que nous sommes de plus en plus nombreux dans le peloton et que nous sommes sur des routes urbaines devenues trop dangereuses pour nous (cyclistes), peste Andrea Mifsud, coureur professionnel au Team Nice Métropole Côte d’Azur . On roule sur des routes qui sont faites pour ralentir les voitures et les scooters, mais nous, nous roulons de plus en plus vite. Lorsque nous arrivons sur ces routes à presque 200 coureurs et à plus de 60 km/h, il suffit d’un accrochage et c’est un carnage”.
Par ailleurs, le choix des itinéraires est parfois critiqué, même dans des courses moins renommées. Les routes empruntées, avec des virages serrés, des descentes sinueuses et des aménagements destinés à ralentir la circulation automobile, comme les terre-pleins, les îlots centraux et les ronds-points, posent des problèmes. Tout cela provoque des chutes et même des drames, comme sur le Tour de Suisse 2023 avec la mort du Suisse Gino Mader à l’âge de 26 ans lors d’une chute dans une descente.
« On roule sur des routes qui sont faites pour ralentir les voitures et les scooters, mais nous, nous roulons de plus en plus vite »
ANDREA MIFSUD, Coureur professionnel pour la Team Nice Métropole Côte d’Azur
©Wikimédia Commons
« Tous les coureurs reçoivent dans les oreillettes la même consigne »
Le débat sur l’utilisation des oreillettes est l’un des plus anciens depuis son introduction dans le monde du cyclisme. À l’origine centré sur le sport et le spectacle, il ressurgit aujourd’hui pour des raisons de sécurité. L’utilisation des oreillettes permet aux directeurs sportifs de donner des instructions en temps réel aux coureurs, notamment pour se replacer régulièrement, même dans les moments les plus sensibles. Cela peut engendrer des situations de stress intense et artificiel dans le peloton.
La surinformation au niveau des oreillettes augmente la nervosité et la tension au sein du peloton. “Sur certains points clés du parcours, tous les coureurs reçoivent dans les oreillettes la même consigne de se porter sur l’avant du peloton, déclare Andréa Mifsud. Il y a 200 coureurs qui veulent aborder un point clé dans les vingt premiers du peloton. Seulement, il n’y a pas la place pour tout le monde, ça frotte et après, il y a des chutes.”
Bien que l’interdiction des oreillettes ne soit défendue que par une minorité dans le milieu du cyclisme professionnel. Certains acteurs soutiennent cette idée, estimant qu’elle permettrait de retrouver une course plus spontanée et moins contrôlée. En parallèle, il y a également l’utilisation des capteurs de puissance en course. Les cyclistes professionnels sont désormais obnubilés par leur capteur de puissance.
Mais à quoi servent-ils ? Ils permettent de mesurer la force générée en temps réel quand vous pédalez. Cela permet au cycliste de connaître les efforts investis, la quantité d’énergie utilisée et la quantité d’énergie restante. Toutes ces informations permettent au cycliste de contrôler et de maintenir une certaine intensité. Le problème ? les cyclistes professionnels ne cessent de regarder ce capteur et ne se concentrent plus sur la route et sur ce qui les entoure. Cela provoque de l’inattention et peut engendrer des chutes.
Les images de cette grosse chute sur la Roue Tourangelle, où on a sans doute échappé au pire avec les motos présentes dans le peloton. La course est repartie après plusieurs minutes de neutralisation. pic.twitter.com/3S67D9n1Qs
— Le Gruppetto (@LeGruppetto) March 24, 2024
Le tabou de la caféine
C’est le sujet tabou dans le cyclisme en ce moment. À première vue, la caféine n’a rien de spécial, et pourtant. Rudy Molard, cycliste professionnel chez Groupama-FDJ, déclare dans les colonnes de Ouest-France : “Les gars prennent des doses… C’est n’importe quoi. Il faut mettre des seuils à ne pas dépasser. Il y a trop de tension. Les mecs sont trop énervés, trop excités, et ne pensent plus à la chute”.
Il n’est pas le seul coureur du peloton à dénoncer la prise de caféine dans le peloton. Sur le réseau social X, le Français Lilian Calmejane, cycliste professionnel chez Intermarché Wanty est du même avis. Il met en avant la prise d’une “bouteille finale que 80% prennent”. Il parle bien évidemment de cette fameuse prise de caféine.
Everyone is looking for explanations for the numerous crashes. This might be a good time for our “oils” to get things moving! The 36 handlebars, the radio, no sanctions (financial/suspension) for bad behaviours by a rider and of course the famous “final bottle 🧪” that 80% take..
— Lilian Calmejane (@L_Calmejane) April 4, 2024
– Les oreillettes ? Je suis convaincu que ça augmente la nervosité qd on reçoit tous les mêmes consignes en même temps.
— Maël Guégan (@mael_guegan) April 4, 2024
– Le matos ? C'est évident, mais que faire ?
– La pression des points uci ? Sans doute.
– La caféine ? Oui, en tout cas perso je suis contre. 2/2 #lesrp
Maxence Mullié